HAUSSE DES PRIX DU CACAO

Ce mois d’avril a vu le prix de la tonne de cacao atteindre un niveau record, à 11 000 dollars/tonne. En seulement un an, les cours du cacao ont subi une augmentation exceptionnelle, surpassant toutes les prévisions précédentes. Nous décryptons ensemble cette hausse spectaculaire des prix du cacao et les mécanismes de cette filière.

UN PEU DE CONTEXTE

Depuis 2017, les cours internationaux du cacao oscillent autour de 2300 $/t. Ces prix considérablement bas ont maintenu les producteurs d’Afrique de l’Ouest en dessous du seuil de pauvreté. En effet, un revenu décent pour les producteurs de cacao se situe entre 4000 et 5000 $/t. Depuis 2019, chez ETHIQUABLE, nous achetons le cacao à 4200 $/t. Depuis l’été 2023, les cours de la fève de cacao ont augmenté progressivement jusqu’à atteindre un record absolu en avril.
Lorsque le cours de la bourse dépasse ce prix équitable, nous achetons selon la règle du label SPP :

règle du label SPP :

cours de la bourse + 850 $/t

POURQUOI CETTE HAUSSE DE PRIX ?


Cette hausse s’explique avant tout par une très mauvaise récolte en Afrique de l’Ouest due aux fortes pluies suivies par une période trop sèche.
Les conditions météorologiques ont impacté les plantations vieillissantes. Elles ont provoqué des maladies comme le swollen shoot et la pourriture brune chez les cacaoyers déjà fragilisés par la monoculture.

En mai 2023, la mauvaise récolte a été officiellement annoncée après les comptages de fleurs. La Côte d’Ivoire a alors suspendu les ventes anticipées du mois de juillet, accélérant la hausse des cours. Au fil des mois, la baisse des rendements s’est confirmée.

Début 2024, les arrivées de cacao aux ports étaient 35% inférieures à l’année précédente en Côte d’Ivoire et au Ghana, ces deux pays représentant 60% de la production mondiale de cacao. Cette baisse de rendement chez les plus gros producteurs de cacao a entrainé un déficit de l’offre par rapport à la demande et donc une hausse des prix.

Déroulez pour en savoir plus sur la responsabilité des fonds spéculatifs dans cette hausse.

Les fonds spéculatifs ne sont donc pas la cause originelle de cette hausse. Ceux-ci ont simplement amplifié le phénomène, rendant la situation sur les marchés financiers en total décalage avec la réalité du terrain. Dans le cas présent, ces acteurs financiers qui parient sur la hausse des cours, aggravent la hausse.
Étant coté sur des grandes places financières telles que les bourses de Londres et de New York, le cacao est fortement influencé par les activités spéculatives.

A noter que ce phénomène d’accentuation est valable également en cas de baisses des cours. Ainsi, souvenons-nous qu’en 2017, une surproduction de seulement 200 000 tonnes de cacao, provoquant ainsi une offre plus importante que la demande, avait conduit à un effondrement de 30% du prix du marché en raison d’une spirale spéculative baissière.

Pour cette raison, la spéculation à la hausse conduit à des cours historiquement élevés du cacao. Ces derniers mois, cette spéculation, en faveur d’une hausse des prix du cacao, s’est traduit concrètement par des investissements très importants de plusieurs milliards de dollars de la part d’opérateurs financiers sur les bourses de New York et de Londres.

Ces fonds spéculatifs ne sont donc pas directement à l’origine de la hausse. Ils s’appuient sur des causes réelles : la mauvaise production. Mais leurs apports massifs de capitaux sur le marchés engendrent des cours extrêmement élevés qui sont en déconnexion avec les réalités de l’économie réelle.

CONSÉQUENCES DE LA HAUSSE DES PRIX

Pour les producteurs

On pourrait penser que les producteurs s’enrichissent, mais la réalité est plus complexe.


Au cas par cas

Certains oui. Certains non. La localisation géographique des producteurs, la période de récolte et le système de fixation de prix en vigueur dans leur pays nuancent la situation.

Déroulez pour connaitre la situation au cas par cas
En Côte d’Ivoire et au Ghana : systèmes de régulation

Les producteurs de cacao n’auront pas bénéficié des cours internationaux élevés en raison des systèmes de régulation du marché qui existent dans ces deux pays et qui, dans le cas présent, ont été un obstacle pour obtenir un prix plus élevé pour les producteurs.

En Côte d’Ivoire, le marché du cacao est régulé par le Conseil Café Cacao (CCC). Celui-ci n’achète, ni ne vend de cacao, mais son rôle est d’enregistrer et autoriser tous les achats de cacao dans le pays. Concrètement, le CCC demande aux acheteurs de contractualiser 80 % de leurs besoins de façon anticipée (6 à 12 mois avant la récolte). Seul 20 % du volume prévu est mis en vente pendant la récolte de façon à compléter la campagne.

Ce système permet à la Côte d’Ivoire de connaître à l’avance le prix moyen de vente de la récolte à l’export, appelé prix FOB, et d’en déduire le prix garanti par l’État aux producteurs, appelé prix bord champ, cela afin d’éviter les variations intra-saisonnières des prix.

  • Prix bord champ : prix payé aux producteurs par le négociants ou par la coopérative aux producteurs dans notre cas.
  • Prix à l’export (FOB pour Free On Board) : prix payé par l’importateur au négociant ou par Ethiquable à la coopérative.

En 2023, toute la récolte d’octobre à décembre a donc été vendue lors du premier semestre, avant la hausse des cours. Les négociants et producteurs ivoiriens n’ont donc pas pu profiter des cours élevés car le CCC avait fixé le prix FOB à 2650 $/t pour les négociants. A noter que dans ce contexte, les producteurs ivoiriens ont reçu 1,52 € par kg de cacao, soit 15 eurocents de plus que la saison précédente.

Au Ghana, même si le système également contrôlé par l’état est diffèrent, les ventes et les prix sont auss fixés anticipativement. Là-bas, le prix garanti par l’État aux producteurs a été de 1,65 €/kg. Les producteurs ghanéens n’ont donc pas non plus profité de la hausse des cours du cacao.

Les marchés libéralisés

Dans les pays voisins comme le Togo ou le Cameroun, les marchés sont libéralisés et donc l’état n’intervient pas. Les prix aux producteurs ont atteint des niveaux de 3,8 €/kg à 4,6 €/kg aux producteurs de cacao.

Un cas intéressant est celui de l’Équateur, aujourd’hui le 3e producteur mondial de cacao. Comme dans le reste de l’Amérique latine, le marché est libéralisé et plutôt concurrentiel. Alors que la récolte battait son plein dans le pays en ce début d’année, les prix aux producteurs étaient déjà à plus de 5500 $/t, contre 2200 $/t l’année précédente. Les exportateurs, qui généralement touchent entre 400 et 500 $/t de plus pour leur commission, collectent et semblent vendre effectivement leurs récoltes aux prix internationaux de plus de 6000 $/t, répercutant les performances de la bourse aux producteurs de cacao. Nuance importante: il faut préciser que l’Équateur est plus que jamais pris en otage par le narcotrafic de cocaïne avec un fort volume de liquidités injectées dans l’économie.  Ce qui peut expliquer en partie la parfaite répercussion des cours de bourse, mêmes dans les zones rurales plus reculées.

Madagascar & Nicaragua

D’autres pays, dont la récolte est plus tardive, comme Madagascar ou le Nicaragua montrent que les prix atteignent un plafond autour de 5000 $/t. Les opérateurs hésitant à prendre le risque de suivre les excès du marché boursier.

Le marché de cacao bio

Les deux plus grands marchés de cacao bio, le Pérou et la République Dominicaine, sont rentrés en période de récolte principale. Ils suivent la même dynamique qu’en Équateur, car la demande du cacao bio ou de qualité supérieure ne cesse d’augmenter. De plus, les stocks mondiaux pour ces marchés de spécialité restent le plus souvent limités à environ six mois de consommation


Une bonne nouvelle temporaire pour les producteurs


Le marché actuel permet donc enfin pour certains producteurs de cacao d’obtenir un revenu décent. Cependant, ils ne se réjouissent pas trop vite car ils connaissent la volatilité des prix. Même si un record a été récemment atteint, ce n’est pas la première fois que les cours du cacao augmentent. Ces prix élevés ne se produisent qu’une fois tous les 7 à 10 ans. Le reste du temps, les prix sont trop bas. Les producteurs en profitent donc pour capitaliser et se préparer à l’avenir. Ils savent qu’après la hausse des prix viendra une période de baisse des prix, souvent plus longue. Ce n’est donc pas une année de prix juste pour le producteur parmi de nombreuses années de prix largement insuffisants qui vont les enrichir.
Le véritable enjeu, au-delà d’un revenu décent, est la stabilité de ce revenu. La question à se poser est en fait :

“Comment garantir aux producteurs un revenu décent sur le long terme, afin qu’ils puissent subvenir à leurs besoins et couvrir les coûts d’une agriculture respectueuse de l’environnement ?”

Pour les consommateurs

Prédire l’incorporation de cette augmentation des coûts dans les prix de vente par les transformateurs et les revendeurs est complexe. Néanmoins, il est raisonnable de supposer que le prix des tablettes de chocolat augmentera très probablement. Dans quelle mesure et quand? Cela dépendra du type de chocolat, des stratégies commerciales des grandes marques, du niveau de stock des fabricants et du prix auquel les fabricants ont acheté leur cacao.

Et le commerce équitable dans tout ça ?


Dans un tel contexte, le commerce équitable reste pertinent. Tout d’abord, nous ajustons nos prix en fonction du marché international. Lorsque les cours internationaux dépassent notre prix minimum garanti, nous appliquons la règle suivante : prix du marché + 850 $/t. Cela inclut des primes pour le bio et le développement. Peu importe les cours du marché, le prix du commerce équitable proposé aux producteurs est donc toujours supérieur au marché.

Pour en savoir plus sur la filière cacao, découvrez notre article dédié :